El Hammami Badr
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Badr El-Hammami est né en 1979 au Maroc, a fait ses études à Bordeaux et à Valence, et vit et travaille à Marseille.

Il est souvent question d’altérité dans la production artistique de Badr El Hammami, de négociation, de co-construction et d’échange. Dans de nombreux projets, sa pratique s’envisage in situ dans la relation qu’il peut mettre en place avec les personnes qui l’entourent. Ainsi, qu’il collabore avec des vendeurs ambulants (Côte à côte), des enfants d’école primaire (Jeux d’enfants), ou d’autres artistes (Offre spéciale), il s’attache à créer des formes qui répondent aux contextes de réalisation dans lesquels elles s’inscrivent.

Dans ses œuvres, les notions de déplacement, de migration, de frontière et de politique traversent des problématiques plus personnelles liées à la mémoire et à la famille. Badr El Hammami travaille sur cet enchevêtrement qui lie la petite et la grande histoire. A travers des gestes simples (peindre et bruler des cartes postales, scinder un jeu d’échec par un mur, …) ou des réalisations plus complexes se construisant dans la durée (l’étude de correspondances par K7 audio entre la France et le Maghreb), il élabore une œuvre dans laquelle la circulation de la parole apparait comme une nécessité vitale.

Guillaume MANSART – Documents d’artistes PACA

Site internet http://www.documentsdartistes.org/artistes/elhammami/repro.html

 

Badr El Hammami, l’atopique

De l’art contemporain et de la pluralité des mondes

« Tout ce qui est nôtre se situe en avant. » Ernst Bloch : Le Principe espérance

De la topie à l’atopie

Roland Barthes, dans son Roland Barthes par Roland Barthes, écrit, à propos du concept d’atopie :

« Fiché : je suis fiché, assigné à un lieu (intellectuel), à une résidence de caste (sinon de classe). Contre quoi une seule doctrine intérieure : celle de l’atopie (de l’habitacle en dérive). […]. »

Le corps, qui est aussi corps politique, corps de la polis, de la cité, peut, lui aussi, être cet habitacle. C’est en ce sens que l’on peut déjà lire, en 1956, sous la plume du situationniste Guy Debord :

« Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent. […].»

Et c’est toujours en ce sens que l’on peut lire aussi, sous les plumes de Gilles Deleuze et Félix Guattari, vingt ans après le texte de Debord et un an après celui de Barthes, le petit livre paru aux Editions de Minuit et intitulé Rhizome : non plus donc l’arbre hyper-hiérarchisé du très néo-platonicien Porphyre, mais celui, horizontal, omnidirectionnel et vivace de cette tige souterraine qui émet des racines aériennes.

C’est dans ce contexte que se situe la production de Badr El Hammami, qui se joue des frontières et de leur artificialité, et qui s’inscrit dans ce que le poète et philosophe Edouard Glissant appelle, dans le sillage d’Héraclite l’Ephésien, de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, une ouverture nomade et mouvante vers la mondialité du Tout-monde. En témoignent les parcours et les expositions de cet artiste « aux semelles devant », toujours devant, all over the world (en donnant ici au mot «all over» le sens qui lui est attribué en peinture contemporaine) : de la France à l’Europe, de l’Europe au Proche-Orient, à l’Afrique noire, à la Russie, à l’Extrême-Orient et à l’Amérique, et de l’exposition itinérante Africa light en 2010 à la biennale de Dakar 2016.

Mondialité et mondialisation

Mais il n’est pas évident d’être un citoyen du monde, et certainement pas plus aujourd’hui que par le passé. En effet, face aux ravages de la mondialisation et à sa politique impérialiste, et face à la montée des nationalismes et des intégrismes de tous bords, il n’est, en effet, pour celui qui a choisi de vivre sa vie en « Nomadie », pas facile d’exister comme il l’entend. Est-ce une raison pour baisser les bras ?

Certes pas. Il ne s’agit pas de renoncer, face au principe de réalité, à celui d’idéalité mais, tout au contraire, de «déschizophréniser» la situation et d’envisager ce principe d’idéalité – ce mode d’être placé sous l’égide du principe espérance, ainsi que le nommait si justement Ernst Bloch, comme asymptotique, c’est-à-dire pensé tout à la fois comme indispensable et inatteignable.

C’est peut-être cela, être nomade : rêver, mais les pieds sur terre : « les pieds sur terre et la tête dans le ciel », comme le dit si bien la sagesse chinoise.

Jean-Marie Sauvage

Série « Ville mirage »

« de 7 »